Abus sexuels et personnes issues de l’immigration
La Commission indépendante sur les abus sexuels faits aux enfants a sollicité l’avis d’expert·e·s pour mieux cibler les personnes ayant une histoire familiale d’immigration. En effet, le nombre de personnes issues de l’immigration qui s’adressent à la Commission est nettement inférieur à la moyenne de la population.
Les douzièmes ateliers de discussion
Le format des ateliers de discussion permet à la Commission d’aborder de nouveaux thèmes. Pour ce faire, la Commission invite des expert·e·s à un entretien dans un cadre confidentiel. Les enseignements tirés des ateliers de discussion servent de base aux activités ultérieures de la Commission.
Silke Gahleitner, membre de la Commission, a d’emblée souligné que le faible nombre de signalements n’était en aucun cas un motif susceptible de rassurer. Sur la base d’études scientifiques, la Commission part du principe que la violence sexuelle envers les enfants et les adolescent·e·s est pratiquement aussi fréquente dans toutes les catégories de population. Il y a plutôt lieu de penser que les victimes ne signalent pas les faits en raison de la stigmatisation et de la discrimination dont elles font l’objet. Cela vaut aussi bien pour les signalements à la Commission indépendante que pour le système d’aide, c’est-à-dire les centres de conseil, les possibilités de thérapie et les soins de santé. Comment pouvons-nous faire en sorte d’être plus accessibles pour ces catégories ? Et que tous et toutes se sentent encouragés à se manifester auprès de nous ? Selon Barbara Kavemann, la Commission peut se substituer à la société pour reconnaître les injustices subies. Ce faisant, la Commission est consciente du fait que les personnes issues de l’immigration constituent un groupe très hétérogène.
Comment surmonter les obstacles personnels ?
Le premier panel a abordé la question de savoir si les victimes issues de familles immigrées doivent surmonter des obstacles spécifiques pour révéler les violences sexuelles subies dans l’enfance et l’adolescence. Elif Gencay, responsable d’audition de la Commission, a expliqué que parmi ses client·e·s d’origine turque et arabe, le sujet était souvent empreint d’une grande honte, car le thème de la sexualité n’était jamais abordé dans les familles. Dans l’un des cas, une famille a été exclue de sa communauté lorsqu’elle a soutenu son fils dans sa plainte pénale contre son agresseur. Chez les filles, la virginité a joué un rôle important jusque dans les familles de la troisième génération. Madame Gencay a rapporté que selon ses expériences, la crainte était que les filles soient « marquées du sceau de l’infamie ».
Jan Ilhan Kızılhan, professeur dans le domaine du travail social et directeur de l’Institut de recherche transculturelle sur la santé de l’Université de formation duale du Bade-Wurtemberg, a confirmé ces observations tirées de son travail d’expert. Dans de nombreux contextes religieux marqués par le conservatisme, la sexualité est taboue en raison d’une logique patriarcale.
La sexualité est toujours considérée comme un danger, elle doit être protégée et ne peut se produire que dans un espace précis.
Dorothea Zimmermann, directrice de l’association « Wildwasser Berlin e.V. », a fait part de son travail avec les filles et les jeunes femmes victimes. Tout comme les jeunes hommes, elles subissent une pression énorme, car elles craignent la stigmatisation de leur communauté lorsqu’elles parlent de violence sexuelle. L’exclusion et la rupture des liens sont également des conséquences fréquentes. Dans ce cas, les jeunes femmes sont isolées non seulement de leur famille, mais aussi de leur culture d’origine, ce qui représente un poids important. « Il est parfois difficile de supporter le sentiment de solitude que ces jeunes filles éprouvent alors », a confié Mme Zimmermann.
Les expert·e·s se sont accordé·e·s sur le fait que l’accès à des communautés partiellement fermées n’était possible que par le biais d’intermédiaires culturellement sensibles. Le cas échéant, il faut également procéder à une analyse des risques pour les victimes ainsi qu’à un contrôle scrupuleux des interprètes.
Obstacles dans l’accès au système d’aide
Dans le deuxième panel, Aylin, une victime, Berrin Özlem Otyakmaz, psychologue psychothérapeute et professeur de sciences de l’orientation à l’école supérieure de l’Office fédéral du travail de Schwerin et Ramazan Karataş, psychothérapeute pour enfants et adolescent·e·s qui travaille au service d’aide sociale à l’enfance de Friedrichshain-Kreuzberg à Berlin, ont discuté des obstacles dans l’accès au système d’aide.
Aylin a raconté qu’elle n’a pas su pendant longtemps ce qui lui était arrivé, car elle n’a pas été informée et n’a pas non plus été encouragée à montrer ses propres limites lorsqu’elle était enfant. Elle estime que l’information et l’éducation, y compris dans différentes langues, sont très importantes. Dans sa famille, on ne parlait ni des problèmes personnels ni des problèmes extérieurs.
La professeure Berrin Özlem Otyakmaz a cité des études telles que le rapport actuel du Moniteur national du racisme et de la discrimination, selon lequel les personnes perçues comme « migrantes » sont nettement sous-représentées dans la prise en charge en psychothérapie. De nombreuses et nombreux psychothérapeutes allemands issus du groupe majoritaire privilégient les patients d’origine similaire. D’autre part, dans les équipes mixtes, dans les centres de conseil par exemple, toutes les clientes et clients issus de l’immigration sont souvent confiés au seul professionnel qui a également une histoire familiale d’immigration, et ce même si un autre professionnel présente une plus grande expertise pour une problématique spécifique.
Comme il y a nettement moins de psychothérapeutes établis ayant des antécédents familiaux d’immigration, les temps d’attente pour obtenir un psychothérapeute turcophone sont deux à trois fois plus longs que pour un collègue allemand issu du groupe majoritaire. Pour les victimes, il est important, dans le cadre d’une consultation ou d’une psychothérapie, de pouvoir utiliser de manière flexible, en fonction du sujet, la langue allemande ou une langue parlée dans la famille. Il est également important que les psychothérapeutes prennent au sérieux les différentes facettes d’une victime, y compris ses expériences d’exclusion liées au racisme, et qu’ils les abordent de manière adéquate dans le cadre de la psychothérapie et du conseil. Toutefois, les conseiller·ère·s et les psychothérapeutes issu·e·s du groupe majoritaire ont souvent une vision stéréotypée et culturaliste des causes et des manifestations des abus sexuels dans les familles issues de l’immigration, ce qui influence négativement le traitement, voire le rend impossible.
Tout comme le thérapeute pour enfants et adolescent·e·s Ramazan Karataş, la professeure Berrin Otyakmaz, a évoqué le racisme structurel en Allemagne, qui est une réalité quotidienne pour les personnes issues de l’immigration. Cela explique en grande partie le fait que moins de professionnel·le·s soient représenté·e·s dans le système d’aide ainsi que dans de nombreuses autres institutions sociales importantes. Il devrait être normal que les expert·e·s reflètent l’hétérogénéité de la société et soient représenté·e·s dans tous les organes, non pas pour s’adresser aux client·e·s ayant une histoire familiale d’immigration, mais pour des raisons d’égalité. La participation et l’implication à tous les niveaux de la société sont importantes. Si les personnes qui cherchent de l’aide et les aidant·e·s sont sous-représenté·e·s dans les structures d’aide, si des organes comme la Commission ne sont pas composés de manière hétérogène, se pose alors la question suivante :
Pourquoi les personnes qui n’ont pas bénéficié au préalable d’un traitement respectueux et adéquat dans le système d’aide devraient-elles faire confiance à d’autres institutions sociales telles que la Commission et raconter leur histoire précisément à cette dernière ?
Ramazan Karataş a suggéré d’échanger avec les mosquées, les centres culturels, les associations politiques ou les mères de quartier. De plus, le site web de la Commission devrait être traduit dans différentes langues et être plus adapté aux personnes issues de l’immigration.
Aylin souhaiterait une meilleure éducation sexuelle à l’école, en particulier à l’école primaire. Les enfants devraient être informés de leurs droits, y compris le droit à une vie exempte de violence. Les réseaux sociaux constituent un bon moyen d’atteindre les jeunes.
L’essentiel est que, quelle que soit la forme que prend la violation des limites, les enfants puissent l’exprimer.
Améliorer les relations publiques
Comment le travail de relations publiques de la Commission peut-il mieux cibler les personnes victimes de discrimination sans leur donner de rôle à part, telle était la question centrale du troisième panel auquel étaient conviés Ismahan El-Alaoui du Conseil des victimes auprès de la déléguée indépendante (UBSKM), Burhan Gözüakça de l’agence de marketing Beys ainsi que Stefanie Keienburg, chargée des relations avec la presse et des relations publiques de la ligne d’écoute téléphonique contre la violence envers des femmes.
Tous et toutes les invité·e·s ont estimé qu’il était problématique d’adapter les campagnes à certains groupes cibles, tels que la communauté turque. Les étiquettes étrangères impliquent des mécanismes d’inclusion et d’exclusion sociale et favorisent ainsi le sentiment de ne pas appartenir à la société. « Des personnes ou des groupes sont définis comme étant « différents », ils sont considérés comme s’écartant de la norme par rapport à la société dominante et leur participation à la société est donc entravée. C’est pourquoi ces personnes ne se sentent pas concernées. Cela engendre de la méfiance, de l’insécurité et de la dévalorisation », prévient Ismahan El-Alaoui. Burhan Gözüakça a constaté dans son agence que les contenus élaborés fonctionnent souvent de la même manière pour tous les groupes cibles.
Certaines personnes proposent des messages très spécifiques aux groupes cibles. Cela n’a jamais été notre intention. L’expéditeur doit faire preuve de considération. Burhan Gözüakça
Pour transmettre des valeurs, il est important de se demander comment atteindre les gens. De nombreuses personnes d’origine turque passent à côté de la presse écrite classique, de la télévision et de la radio allemandes, car leurs intérêts et leur réalité n’y figurent pas. En lieu et place, les images de l’ennemi, comme celle de « l’homme musulman dangereux », continuent à se manifester à travers les représentations médiatiques. Les réseaux sociaux, où les contenus peuvent être facilement traduits sur le plan technique, sont encore les plus équitables. Le propriétaire de l’agence a suggéré de réduire les barrières d’accès en suggérant à la Commission de toucher les gens à un endroit où ils se sentent à l’aise. La collaboration avec des partenaires tels que les associations politiques est importante à cet égard.